12 mai 2012

La Grèce en révolte | Stathis Kouvelakis



Conférence de la revue Contretemps (janvier 2009).

• Quelques articles de SK sur le site de la revue Contretemps (notamment un article de décembre 2008 portant le même titre).

• « Grèce : destruction programmée d'un pays », entretien dans le n° 4 de la Revue des livres (mars-avril 2012). Le début est en ligne sur le site.

Tout d’abord, il y a la question de la dette souveraine, dans laquelle s’est cristallisée la deuxième phase de la crise qui a débuté en 2007, qui concerne la quasi-totalité des pays développés mais qui a pris en Grèce une forme paroxystique. Pourquoi ? D’une part parce que le capitalisme grec est plus fragile que d’autres et que, à l’instar des autres pays de la périphérie de l’eurozone (Portugal, Irlande, Espagne: les fameux « PIGS »), il a été particulièrement affecté par la perte de compétitivité qui découle du fonctionnement même de la monnaie unique. Nul hasard si tous ces pays présentés comme des modèles jusqu’à une date récente ont connu une croissance en trompe l’oeil dans les années qui ont précédé la crise actuelle, une croissance qui reposait sur des secteurs relativement protégés de la concurrence externe, basée sur des « bulles » (immobilière en Espagne, bancaire en Irlande, de la consommation en Grèce), toutes financées par le crédit bon marché que l’euro rendait possible en même temps qu’il creusait les déficits commerciaux et de la balance des paiements de ces pays, au profit pour l’essentiel de l’Allemagne et, plus largement, du secteur bancaire et de la finance européenne. Ce modèle de croissance n’était évidemment pas soutenable, il a ravagé la base productive de tous ces pays, base non seulement industrielle, mais aussi agricole (je pense ici notamment au saccage de l’agriculture grecque), et il engendre des dégâts environnementaux et sociaux considérables. Avant même la crise, la Grèce occupait ainsi, dans le classement de l’OCDE de 1997, le troisième rang pour les inégalités, derrière seulement le Mexique et la Nouvelle Zélande. Rappelons ici la révolte de la jeunesse grecque, rejointe par d’autres « perdants » de la société grecque (précaires, chômeurs, travailleurs immigrés), en décembre 2008. Cette révolte a jeté une lumière crue sur l’exaspération d’une jeunesse frappée, déjà, par un chômage important et une précarisation galopante, une jeunesse écoeurée par un système politique corrompu et par la banalisation de la brutalité policière.

Par ailleurs, s’il est exact de dire que l’État grec est plus fragile et inepte que la moyenne des États ouest-européens, ce n’est pas pour les raisons habituellement invoquées. Loin d’être hypertrophié, le secteur public en Grèce est en-deçà de la moyenne européenne, et la chose est plus marquée encore s’agissant de la fonction publique au sens strict. Il en va de même du niveau de la dépense publique. En réalité, l’État grec souffre bien plutôt de son incapacité structurelle à institutionnaliser, après la guerre civile de 1946-1949, des compromis sociaux avec les couches populaires. Ce n’est que dans les années 1980 qu’un État social limité s’est mis en place. Il en résulte d’un côté le clientélisme, de l’autre une privatisation « par le haut » de l’État,par la collusion incestueuse entre élites politiques et fractions du capital, ou capitalistes individuels. Le système d’exemption fiscale, légale ou simplement tolérée, était au coeur de ce deal. De là un problème chronique de financement de l’État, dû à une insuffisance de recettes, qui renvoie elle-même à l’étroitesse de l’assiette fiscale.

Tordons ici le coup à un mythe : les salariés en Grèce, aussi bien du public que du privé, ont toujours payé leurs impôts, et le niveau de l’imposition indirecte, particulièrement injuste, on le sait, est l’un des plus élevés d’Europe. L’exemption et l’évasion fiscales – contrairement à ce qu’on laisse souvent entendre, c’est la première qui constitue l’essentiel du problème – ont toujours été l’apanage du capital, non seulement du grand, mais aussi des couches de la petite-bourgeoisie non-salariée, dont le poids demeure important dans la société grecque, avec environ un tiers de la population active si l’on inclut la paysannerie. Ainsi, sont légalement exemptés d’impôts aussi bien les agriculteurs que les armateurs, tandis que l’État ferme les yeux sur l’évasion fiscale systématique des professions indépendantes et de la petite entreprise familiale. Quant aux impôts sur les sociétés, déjà faible, il a drastiquement diminué avec les politiques néolibérales poursuivies avec acharnement depuis le milieu des années 1990.

C’est donc tout ce modèle socio-économique qui s’effondre sous l’effet de la dernière tornade. 

• « Le laboratoire grec sert à radicaliser des politiques d’austérité », un entretien d'avril 2012 sur le site de la revue Regards.
Le laboratoire grec sert à radicaliser des politiques d’austérité et de casse sociale, nous le constatons quotidiennement. Si ça passe en Grèce, malgré un niveau très élevé de résistance, demain cela se fera ailleurs. Mais le cas grec sert également à alimenter la fuite en avant antidémocratique des institutions de l’Union européenne, dont il révèle la véritable nature, qui est de verrouiller le néolibéralisme par l’accumulation de traités et de dispositifs institutionnels neutralisant préventivement toute pression populaire. Enfin, il sert à la mise sous tutelle des pays qui sont les grands perdants de la crise actuelle, à savoir les pays de la périphérie méridionale de l’Europe, mais aussi l’Irlande. Cette tutelle va de pair avec la mise en coupe réglée de leurs ressources, et là encore la privatisation de la quasi-totalité des biens publics de la Grèce sert de modèle à ce que le géographe David Harvey a appelé l’« accumulation par dépossession », c’est-à-dire l’expropriation au profit du secteur privé de parties socialisées de l’activité économique et sociale ainsi que des ressources naturelles. Les mémorandums signés entre le gouvernement grec et la « Troïka » (UE, BCE, FMI) sont extrêmement précis et détaillés sur les conditions de cette mise à l’encan généralisée du pays : infrastructures publiques (eau, électricité, ports, autoroutes), îles inhabitées, plages et zones côtières, bâtiments publics, terres au potentiel agricole ou de développement de l’énergie solaire, tout y passe, dans une procédure pilotée par une agence privée, sur le modèle de la Treuhand, l’organisme de sinistre mémoire chargé de la liquidation des ressources productives de l’ancienne République démocratique allemande.
• « Nous assistons à la destruction d'un pays », interview daté de 13 février 2012 sur le site du Nouvel observateur.

• La page de SK sur le site du King's College, université de Londres.

1 commentaire:

Philhellène a dit…

Ah oui, je le reconnais !
C'est le traducteur français d'Alexis Tsipras !