Photo : Elsa Ruiz
A propos de ces trois milliards d’êtres humains, dont on fait une montagne : j’ai calculé, moi, qu’en les logeant tous dans des maisons de quarante étages - dont l’architecture resterait à définir, mais quarante étages et pas un de plus, cela ne fait même pas la tour Montparnasse, monsieur -, dans des appartements de surface moyenne, mes calculs sont raisonnables ; que ces maisons constituent une ville, je dis bien : une seule, dont les rues auraient dix mètres de large, ce qui est tout à fait correct. Eh bien, cette ville, monsieur, couvrirait la moitié de la France ; pas un kilomètre carré de plus. Tout le reste serait libre, complètement libre. Vous pourrez vérifier les calculs, je les ai faits et refaits, ils sont absolument exacts. Vous trouvez mon projet stupide ? Il ne resterait plus qu’à choisir l’emplacement de cette ville unique ; et le problème serait réglé. Plus de conflits, plus de pays riche, plus de pays pauvre, tout le monde à la même enseigne, et les réserves pour tout le monde.
Combat de nègre et de chiens, éditions de Minuit, 1989.
Par Matthieu Garrigou-Lagrange, Daniel Finot et Pierre Willer. Recherches Ina : Sophie Bober et Anne-Lore Veil.
Quelques mois avant sa mort en 1989, Bernard Marie Koltès accordait un entretien à Lucien Attoun, sur l’antenne de France Culture. Il s’y confiait comme jamais auparavant, racontait sa famille, sa haine de l’arrogance occidentale et affirmait la solitude intrinsèque de l’être humain.
Vingt ans après, c’est également avec Lucien Attoun que nous avons voulu revenir sur la vie et l’œuvre de Koltès, en réécoutant avec lui certains passages de cette fameuse interview. D’autres, qui l’ont connu ou qui ont réfléchi sur son œuvre seront également autour de la table, comme la journaliste et biographe Brigitte Salino ou encore Yves Ferry et Moïse Tourré, comédiens et metteurs en scène.
Ensemble, nous essayerons de raconter la manière dont Koltès est entré dans le monde du théâtre et la marque qu’il y a laissée. Nous parlerons de sa fascination pour les bas-fonds des grandes villes mais aussi pour l’Afrique, les noirs, les immigrés, les marginaux, tout ceux qui ne sont pas « à leur place ici ». Nous essayerons également de raconter son théâtre, d’en cerner les grandes lignes, les thèmes, les obsessions, les évolutions au cours du temps. Et puis simplement nous parlerons de lui, pour rendre hommage à l’un des plus grands auteurs de théâtre français de la seconde partie du XXe siècle.
Invités
Lucien Attoun : directeur du Théâtre Ouvert, ancien producteur à France Culture. A découvert ses pièces et produit des entretiens avec BM Koltès dès 1972 (présentation de L'Héritage pour le Nouveau Répertoire Dramatique de France Culture).
Brigitte Salino : journaliste et critique de théâtre au Monde, auteur d'une biographie à paraître chez Stock à la rentrée.
Moïse Touré : metteur en scène et directeur artistique de la compagnie Les Inachevés. Crée des ateliers où mixe le théâtre de Koltès à la langue du Burkina Fasso, du Bénin, du Mali, de Haïti et du Japon. Responsable d'un Fonds Koltès à l'Ecole Internationale du Théâtre de Cotonou.
Yves Ferry : acteur et metteur en scène. Inscrit au TNS avec Koltès dans les années 70. A inspiré La Nuit juste avant les forêts, joué pour la première fois dans le Off d'Avignon en 1977.
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Bernard-Marie Koltès, retour à Babylone, France Culture, Surpris par la nuit, 03/04/2009
Par Yan Ciret. Réalisation : Pasacle Rayet.
Un dramaturge tel que Bernard-Marie Koltès ne laisse pas, uniquement, une œuvre théâtrale, il continue de nous ouvrir une pensée de l’altérité radicale. La « figure de l’étranger » qu’il place au centre de ses écrits, de manière anthropologique autant que dramatique, dévie les règles de la scène classique. Ce n’est pas un simple défi à la représentation, mais la description éthique, d’un monde dont la globalisation a engendré conflits et luttes, « chocs » des destins pris dans les mouvements de l’histoire du Nord et du Sud.
Privilégiant le « noir » ou plutôt les « blacks », le « chant des Arabes entre eux », c’est-à-dire le Coran, l’immigré, le réfugié ou le déplacé par l’exil, Bernard-Marie Koltès regarde notre univers occidental, depuis son envers, sa part maudite. Vingt ans après sa disparition, presque jour pour jour, le chaos des fractures des identités différentes n’a fait que s’accroître. Hervé Guibert lui demanda, dans une interview au journal Le Monde, s’il n’avait pas substitué « la lutte des races à la lutte des classes ». La religion catholique, la formation jésuite, n’expliquent pas à elles seules la spiritualité mystique qui s’est révélée, en pleine lumière, depuis la parution de ses premières pièces, après sa mort.
Et jusqu’à sa correspondance, Lettres, et un scénario inédit, Nickel Stuff, que publient aujourd’hui les éditions de Minuit. L’écrivain superpose à l’hypothèse christique, l’hypothèse communiste au sens messianique et évangélique. Ce versant inaperçu durant la première période de sa « gloire théâtrale », dans les années quatre-vingt, vient nous rappeler qu’il conçut l’écriture comme une mission, un sacerdoce, une vocation au don suprême, à la manière de son maître Dostoïevski ou du Journal du cinéaste Andreï Tarkovski. Influencé par Melville, Conrad, Lowry, et surtout Faulkner, il rêva d’un « Adam noir », d’une autre fondation du monde, par un renversement qui lui fit aller le plus loin possible, aux limites de sa propre identité française. Comme Rimbaud qui se fit appeler « Abdel Rimb » en Abyssinie, ou T.E. Lawrence dont il admirait les Sept piliers de la Sagesse et le transfuge britannique devenu Arabe : Bernard-Marie Koltès se donna aussi pour nom « Cheick Abdallah K. »
Amateur passionné de stars du Tiers-Monde, Bob Marley, Burning Spear, Bruce Lee, Mohamed Ali, et d’écrivains d’ailleurs à l’instar de Mario Vargas Llosa ou James Baldwin ; mais aussi lecteur fanatique de Proust ou de la Bible. Il fut un auteur de films, qu’il tourna comme La Nuit perdue ou qu’il laissa inachevés, ainsi un projet avec la cinéaste Claire Denis, tout comme il a été ce lecteur matérialiste de saint Jean de la Croix et spiritualiste de Marx. Celui qui a fait des vaincus et des damnés de notre monde des héros dignes d’Homère ou de Shakespeare, de la malédiction de Babylone, la ville maudite des exclus, une terre d’élection. Voyages, Afrique, mythes indiens quechua, langues perdues des citées englouties, expériences indicibles qu’il ramena vers le théâtre, tout ceci traversa une vie courte, fulgurante, et d’une « irradiante gaîté». Depuis ce 15 avril 1989, date de sa disparition, emporté par le sida, Bernard-Marie Koltès ne cesse de nous voir, comme au jour du jugement dernier - qui terminait sa pièce Quai Ouest dans les hangars portuaires insalubres de New York -, pour une nouvelle Genèse, avec ce sourire d’Archange à la violence d’une intraitable douceur.
Avec : François Regnault, Thierry de Peretti, Georges Lavaudant, François Koltès, Simon Njami, Nicolas Klotz, Hammou Graïa, Tanguy Viel, et Edouard Glissant (sous réserve), Claire Denis (sous réserve).
Avec les voix de William Faulkner, Mario Vargas Llosa, James Baldwin, Mohamed Ali, Claude Stratz et Bernard-Marie Koltès.
Lectures par Stanislas Nordey, Bruno Boëglin, Patrice Chéreau, Hammou Graïa.
Soundtracks : Mali, Tikal (Guatemala), Nicaragua, New York, Managua et Mexico City.
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Babel Koltès : illuminations, carnets, correspondances, France Culture, émission spéciale, 10/07/2008
Inédits de Bernard-Marie Koltès, avec l’aimable autorisation de François Koltès, à paraître aux éditions de Minuit en 2009. [Parus depuis]. Choix des textes et présentation : Yan Ciret. Réalisation : Jacques Taroni. Lecture par Stanislas Nordey.
Depuis sa disparition, Bernard-Marie Koltès n’a cessé d’apparaître comme un classique du théâtre, mais tout aussi bien de la littérature dans son entier, faisant émerger un écrivain dépassant les catégories. On connaît, désormais, le romancier, le nouvelliste, l’auteur de textes courts, autobiographiques, réflexifs, donnant sa vision du monde ou du théâtre, de la politique au sens le plus large, avec une acuité vive, déroutante, comme s’il nous parlait de l’envers de notre univers. Rarement, un auteur aura, de même, connu si rapidement un changement de point de vue, réaffirmant ce statut classique, tout en voyant une part inconnue de son œuvre éditée.
Les pièces de « jeunesse », pour la plupart des réécritures de la Bible, Dostoïevski, Gogol, Shakespeare, Gorki ou Salinger, ont donné un autre éclairage sur les pièces de la « maturité ». Bientôt un scénario Nickel Stuff paraîtra, élargissant le champ de ses écritures théâtrales ou romanesques, puis un film « La nuit perdue », et enfin la correspondance Koltès, des centaines de pages, rédigées à sa famille, à ses amis, souvent de pays lointains, de lieux étrangers, dont on trouvera le reflet direct ou indirect, dans ses œuvres. 1948 fut l’année de sa naissance, à Metz. En 2008, Bernard-Marie Koltès aurait eu 60 ans. Mort en avril 1989 à Paris, cela fera vingt ans en 2009 qu’il s’est éteint, alors que de nouveaux textes inédits nous parviennent régulièrement, comme s’il n’avait cessé de nous écrire pour remonter le temps. -- Yan Ciret
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