07 décembre 2009

Jean-Pierre Brisset, écrivain (1832-1919) | France Culture, Une vie, une œuvre, 7 octobre 2001



Par Christine Goémé. Avec Michel Foucault (archives), Marc Décimo et Marcel Benabou. Textes lus par Claude Piéplu.

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Jean-Pierre Brisset, né à La Sauvagère (Orne) le 30 octobre 1837 et mort à La Ferté-Macé le 2 septembre 1919, est un écrivain français, connu à la fois comme un saint du calendrier pataphysique (le 25 haha) et comme un fou littéraire. L'écrivain André Breton lui a réservé une place de choix dans son anthologie de l'humour noir.
Wikipedia

Jean-Pierre Brisset est né le 30 octobre 1837 à La Sauvagère et mort à La Ferté-Macé le 2 septembre 1919 au n°6 de la rue aux Cordiers. Ses parents sont journaliers à la ferme de Gestel sur la commune de La Sauvagère. Il fréquente l’école communale quand les travaux des champs le lui permettent.
En 1852, il part à Paris pour apprendre le métier de pâtissier. Puis il s’engage dans l’armée en 1855 : il apprend les langues étrangères au cours des campagnes militaires. Enfin après avoir démissionné de l’armée et enseigné les langues, il devient commissaire de surveillance administrative des chemins de fer en 1879.
Jean-Pierre Brisset publie une dizaine d’ouvrages dont un Art de nager, des grammaires et des ouvrages prophétiques. Inventeur, il réalise deux inventions : une ceinture caleçon aérifère à double réservoir compensateur (l’ancêtre de la bouée) et une planchette calligraphique (l’ancêtre du normographe).
Des révélations divines lui inspirent des ouvrages prophétiques : La science de Dieu ou la création de l’homme en 1900 et Les origines humaines en 1913. Cette même année il a été élu « Prince des penseurs » (devant Bergson) pour l’ensemble de son œuvre à l’Hôtel des sociétés savantes à Paris. La cérémonie était organisée par Jules Romains.
Jean-Pierre Brisset dit que l’homme descend de la grenouille et le prouve par l’analyse du langage. Sa démonstration repose sur un incroyable réseau de jeux de mots : « l’analyse ne connaît que le son, c’est là le son, c’est la leçon qu’il faut retenir ». André Breton, Michel Leiris, Robert Desnos, Raymond Queneau , Michel Foucault et beaucoup d’autres écrivains font référence à Brisset. Sa technique d’écriture a été reprise par Robert Desnos dans Corps et biens.
Jean-Pierre Brisset a également intéressé les linguistes, les psychanalystes (dont Jacques Lacan), et suscité un grand nombre d’œuvres plastiques (on a pu le constater lors de l’exposition qui lui a été consacrée en 1995 à La Ferté-Macé). Il est représenté à l’Art Institute de Chicago et au Musée National d’Art moderne du Centre Beaubourg. Marcel Duchamp lui-même place Jean-Pierre Brisset dans sa bibliothèque idéale et s’en inspire dans la conception de ses célèbres « ready-made » comme l’explique Marc Décimo (spécialiste de Jean Pierre Brisset) dans son ouvrage Marcel Duchamp mis à nu : à propos du processus créatif publié aux Presses du Réel fin 2004.
L’œuvre de Jean-Pierre Brisset a été le point de départ de plusieurs pièces de théâtre en France, en Suisse et en Belgique (lesquelles ont tourné en Europe et au Canada) et de plusieurs œuvres de musique dont un opéra. Célébré par les pataphysiciens, cité dans les dictionnaires de Littérature et dans des manuels scolaires, Jean-Pierre Brisset a également fait l’objet d’un article dans le Times pour les cent ans du journal. L’œuvre a été rééditée intégralement en 2001 par les Presses de Réel et accompagnée d’une étude très approfondie de Marc Décimo.
Bibliothèque municipale de La Ferté-Macé



« Un jour que nous observions ces petites bêtes, en répétant nous-même ce cri : coac, l’une d’elles nous répondit, les yeux interrogateurs et brillants, par deux ou trois fois : Coac. Il nous était clair qu’elle disait : quoi que tu dis ? […] Nous avons encore noté, cara, cara ; cate cate, mais surtout le cri qu’ai quête. Ce dernier est un appel bien clair que la grenouille fait entendre dans les prés fleuris, où elle chasse les insectes. Il est bon, pour bien discerner ces cris, d’en voir et entendre une seule à la fois. Lorsqu’elles chantent en réunion, c’est de loin un brouhaha de foule humaine.
Le dictionnaire Larousse leur attribue les cris : Brekekex, coax et ololo. Au l’haut l’eau, au l’eau l’oz, au l’eau lò = Là à l’eau. Au lolo est un appel enfantin à boire du lait et l’eau est le premier lait. Nous n’avons entendu ni brekekex ni ololo, mais nous n’avons fait qu’une étude imparfaite. Le langage de la grenouille varie selon les lieux, les temps et les saisons… »
Jean-Pierre Brisset, La Science de Dieu ou la Création de l’homme [1900], « Les cris de la grenouille », Œuvres complètes, Dijon, Les presses du réel, 2001, p. 717-718.

« Continuons à entendre parler les ancêtres. À ce eau, à ce haut, à seau, à saut, assaut. À le, à ce haut, à ce eau, à l’assaut. Nous voyons l’ancêtre appelé vers l’eau et vers les hauteurs par des sots et des sauts. Les grands sots faisaient des grands sauts et les petits sots de petits sauts. C’étaient des sauteurs et la race des sauteurs n’est pas prête de s’éteindre. Vois-le, ce hauteur ! Vois le sauteur. En sûr saut = saute en lieu sûr. Ordre faisant sûr sauter, sursauter, et sûr s’ôter, en sursaut. A prends à ce haut t’ai = Prends là à ce que haut je t’ai. Apprends à sauter. Les anciens apprenaient aux jeunes à sauter en leur présentant quelque manger en l’air. Là saute, re aie-le (re aie-le = reprends-le). Là sauteur, aie-le. Le à ce hauteur aie-le. Là sot, t’erais-le = Tu l’aurais là, sot. Langage excitant à la poursuite de la sauterelle, une nourriture favorite de l’ancêtre qui fut lui-même la première sauterelle ainsi que le premier sauteur, ce auteur… »
Ibidem, « Premiers exercices et moyens d’existence », p. 708.

Quand ils partent à la recherche de l’origine du langage, les rêveurs se demandent toujours à quel moment le premier phonème s’est enfin arraché au bruit, introduisant d’un coup et une fois pour toutes, au-delà des choses et des gestes, l’ordre pur du symbolique. Folie de Brisset qui raconte, au contraire, comment des discours pris dans des scènes, dans des luttes, dans le jeu incessant des appétits et des violences, forment peu à peu ce grand bruit répétitif qui est le mot, en chair et en os. Le mot n’apparaît pas quand cesse le bruit; il vient à naître avec sa forme bien découpée, avec tous ses sens multiples, lorsque les discours se sont tassés, recroquevillés, écrasés les uns vers les autres, dans la découpe sculpturale du bruissement. Brisset a inventé la définition du mot par l’homophonie scénique….
Brisset est juché en un point extrême du délire linguistique… Tout ce qui est oubli, mort, lutte avec les diables, déchéance des hommes, n'est qu'un épisode dans la guerre pour les mots que les dieux et les grenouilles se livrèrent jadis au milieu des roseaux bruyants du matin.
Michel Foucault, extrait de la préface à la réédition de la Grammaire logique, éditions Tchou 1970.


> Les Œuvres complètes de Brisset aux éditions Les presses du réel, 2001.

> Marc Décimo, L’esprit de la modernité révélé par quelques traits pataphysiques – ou Le Brisset facile, éditions Les presses du réel, 2009.

> Un site consacré à Jean-Pierre Brisset.

> Jérôme Solal, Jean-Pierre Brisset et les hommes-grenouilles, Revue des ressources.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Génial !
Merci encore.