12 juillet 2011

Krapp's Last Tape (La dernière bande) | Samuel Beckett (1958)



Krapp : Harold Pinter. Réalisé par Ian Rickson, A Royal Court Theatre production, 2006.




Krapp : John Hurt. Réalisé par Atom Egoyan (Beckett on Film), 2001.




Krapp : Patrick Magee. Réalisé par Donald McWhinnie, BBC, 1972.


TAPE: —gooseberries, she said. I said again I thought it was hopeless and no good going on, and she agreed, without opening her eyes. (Pause.) I asked her to look at me and after a few moments—(pause)—after a few moments she did, but the eyes just slits, because of the glare. I bent over her to get them in the shadow and they opened. (Pause. Low.) Let me in. (Pause.) We drifted in among the flags and stuck. The way they went down, sighing, before the stem! (Pause.) I lay down across her with my face in her breasts and my hand on her. We lay there without moving. But under us all moved, and moved us, gently, up and down, and from side to side.

Pause. Krapp's lips move. No sound.

Past midnight. Never knew such silence. The earth might be uninhabited.

Pause.

Here I end this reel. Box—(pause)—three, spool—(pause)—five. (Pause. Perhaps my best years are gone. When there was a chance of happiness. But I wouldn't want them back. Not with the fire in me now. No, I wouldn't want them back.

Krapp motionless staring before him. The tape runs on in silence.

CURTAIN

BANDE. — Groseilles à maquereau, m'a-t-elle répondu. J'ai dit encore que ça me semblait sans espoir et pas la peine de continuer. Et elle a fait oui sans ouvrir les yeux. (Pause) Je lui ai demandé de me regarder et après quelques instants — (Pause) — et après quelques instants, elle l'a fait, mais les yeux comme des fentes à cause du soleil. Je me suis penché sur elle pour qu'ils soient dans l'ombre et ils se sont ouverts. (Pause) M'ont laissé entrer. (Pause) Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s'est coincée. Comme elle se pliait avec un soupir devant la proue, je me suis coulé sur elle, mon visage dans son sein et ma main sur elle. Nous restions là couchés. Sans remuer. Mais sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, du haut en bas, et d'un côté à l'autre.

Pause. Les lèvres de Krapp remuent sans bruit.

Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. La terre pourrait être inhabitée.

Pause.

Ici je termine cette bande. Boîte — (pause) — trois, bobine (pause) — cinq. (Pause) Peut-être que mes meilleures années sont passées. Quand il y avait encore une chance de bonheur. mais je n'en voudrais plus. Plus maintenant que j'ai ce feu en moi. Non, je n'en voudrais plus.

Krapp demeure immobile, regardant dans le vide devant lui. La bande continue à se dérouler en silence.

(FIN)

Traduction française de Pierre Leyris et de l’auteur dans Les Lettres Nouvelles, n°1, mars 1959 ; La dernière bande, éditions de Minuit, 1959.



> Le texte intégral (anglais) est ici.

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