Halfdan Egedius
Anonyme, XIIIe siècle. Traduit du vieil islandais par Félix Wagner, Gand (Belgique), éditions A. Siffer & Paris, éditions Ernest Leroux, 1899, rééd. Gand : éditions du Lynx, 1925.
Chapitre 1
Il y avait un homme qui s’appelait Thorstein ; il était fils d’Egil Skallagrimsson et d’Asgard, fille de Bjorn. Thorstein demeurait à Borg, dans le Borgarfjord ; c’était un homme riche en biens et un grand seigneur ; il était intelligent, d’un abord facile et raisonnable en toutes choses. Sans exceller ni par la taille ni par la force corporelle comme son père Egil, c’était néanmoins un personnage des plus distingués, et il inspirait de la sympathie à tout le monde. Thorstein était un homme de belle apparence, avec des cheveux blonds et des yeux d’une beauté remarquable. Il avait pour femme Jofrid, fille de Gunnar, fils de Hlif. Jofrid avait épousé d’abord un fils de Tungu-Odd, du nom de Thorodd ; celui-ci eut d’elle une fille, Hungerd, qui grandissait à Borg dans la maison de Thorstein. Jofrid était une femme de grande énergie. Thorstein en eut de nombreux enfants ; mais peu d’entre eux jouent un rôle dans cette saga. Skuli était l’aîné de leurs fils ; le second s’appelait Kollsvein, le troisième Egil.
On raconte qu’un jour d’été un bateau venant de la mer entra dans l’embouchure de la Gufa. Bard était le nom du pilote ; il était d’origine norvégienne, riche, assez âgé et sage. Thorstein poussa son cheval jusqu’au bateau et, comme il réglait d’habitude les conditions du marché, il le fit encore cette fois-ci. Les Norvégiens furent hébergés de côté et d’autre ; le pilote, lui, reçut l’hospitalité chez Thorstein, car il avait manifesté le désir de se rendre dans cette région. Bien qu’il fût ordinairement d’humeur morne durant l’hiver, Bard reçut bon accueil chez Thorstein. Le Norvégien aimait beaucoup à s’occuper de rêves.
Au printemps Thorstein lui demanda s’il voulait l’accompagner à Valfel. C’était l’endroit où les habitants du Borgarfjord tenaient leur assemblée (thing), et Thorstein avait appris qu’une paroi de sa tente s’était écroulée. Le Norvégien y consentit. Ils se mirent donc en route à trois et arrivèrent à Valfel dans un domaine appelé Caverne des renards. Là vivait un homme pauvre, du nom d’Atli ; il était fermier de Thorstein. Thorstein lui enjoignit de venir avec lui pour l’aider au travail et d’emporter une hache et une bêche. Ainsi fut fait. Arrivés auprès des murs dépouillés de leur toit, ils se mirent tous à l’ouvrage et déblayèrent la place. Ensuite Thorstein et Bard s’assirent à l’entrée de la cabane. Thorstein s’endormit et eut un sommeil agité. Bard, assis à ses côtés, le laissa jouir de son rêve. Quand il s’éveilla, il se sentit mal à l’aise. Le Norvégien lui demanda ce qu’il avait rêvé pour avoir été si agité pendant le sommeil. Thorstein répondit : « Les rêves ne signifient rien. »
Mais le soir, en retournant, le Norvégien lui demanda de nouveau ce qu’il avait rêvé. « Si je te communique mon rêve », dit Thorstein, « tu me l’interpréteras. » Bard promit de l’essayer, et Thorstein dit : « Voici ce que j’ai rêvé : Je me figurais être à Borg, devant l’entrée principale de ma maison ; en levant les yeux vers le ciel, j’aperçus sur le faîte du toit un bel et superbe cygne et je croyais qu’il m’appartenait. Ensuite je vis descendre des montagnes un grand aigle qui s’approcha, vint se poser auprès du cygne et se mit à causer amicalement avec lui ; et celui-ci me paraissait s’en réjouir. Alors je remarquai que l’aigle avait les yeux noirs et des serres de fer, et il m’avait l’air bien hardi. Bientôt je vis venir du sud un autre oiseau qui se dirigea également vers Borg et alla se percher sur le toit à côté du cygne dont il essaya de gagner la faveur. C’était aussi un grand aigle. Je croyais ensuite observer que l’aigle qui était arrive le premier entrait dans une violente colère contre le nouveau venu ; ils se querellèrent longtemps et avec beaucoup d’acharnement et je constatai qu’ils saignaient tous les deux. Ils se battirent tant et si bien qu’ils tombèrent de part et d’autre du mur de la maison : tous deux étaient morts. Le cygne resta sur le toit ; il était bien triste. En ce moment je vis arriver un oiseau du côté de l’ouest ; c’était un faucon. Il se posa à côté du cygne et se comporta tendrement envers lui. Ensuite ils s’envolèrent tous les deux ensemble dans la même direction ; et là-dessus je m’éveillai. » « Ce rêve », ajouta-t-il, « n’a guère de signification ; il annonce probablement des orages qui s’amassent dans les airs et qui arrivent du côté d’où les aigles m’ont semblé venir. » — « Tel n’est pas mon avis », répondit Bard. « Prends dans ce rêve », reprit Thorstein, « les faits qui te paraissent les plus significatifs, et explique-les moi. » Barth dit : « Les deux oiseaux désignent sans doute les esprits tuté-laires de grands hommes. Ta femme est enceinte et mettra au monde une jolie et superbe fille que tu aimeras beaucoup. Des hommes distingués arriveront des contrées d’où sont venus les aigles et demanderont ta fille en mariage ; ils concevront pour elle le plus vif amour ; ils se la disputeront et périront tous les deux à cause d’elle. Il arrivera ensuite un troisième des pays d’où est venu le faucon ; il demandera à son tour la main de ta fille et c’est à lui qu’elle sera donnée. » « Voilà l’interprétation de ton rêve », ajouta-t-il, « tel que je pense qu’il va se réaliser. » Thorstein répondit : « Ce rêve est interprété bien mal et d’une façon désobligeante », dit-il, « j’aime à croire que tu n’es guère habile à expliquer les rêves. » Bard reprit : « Tu expérimenteras toi-même comment les choses se passeront. » Dès ce moment Thorstein se montra peu aimable envers le Norvégien ; celui-ci quitta le pays à l’époque où les Islandais changent d’habitation, et on n’en parlera plus dans cette histoire.
> La suite (nombreuses coquilles).
> Le texte islandais (orthographe modernisée).
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